samedi 12 juillet 2014

Solitude et Solitude

Dans un précédant message, j’avais évoqué le souhait de mettre en relation un poème chinois et un poème français ayant pour thème la solitude. Yan ayant bien voulu me communiquer le poème chinois et sa traduction, je vous propose de voir quelques exemples de ce thème traité à des époques, des lieux, et selon une sensibilité et des modes artistiques différents :
- En peinture dans l’Amérique du XX° siècle
- En poésie dans la Chine des Song et la France du XVII° siècle
- En musique dans l’Angleterre du XVII° siècle

La solitude en peinture dans l’Amérique du XX° siècle
La vidéo ci-dessous présente quelques tableaux d'Edward Hopper (1882-1967) que l’on a parfois surnommé le peintre de la solitude. Ses personnages sont souvent représentés seuls comme enfermés dans le silence, l’absence, la solitude.



La solitude en poésie dans la Chine des Song et la France du XVII° siècle

Le poème chinois.
Quelques mots tout d’abord sur son auteur. Su Shi (1037-1101) est le type même du lettré chinois. Homme d’Etat ce fut aussi un « philosophe ». Il excella  dans toutes les disciplines artistiques : poésie (un des plus grand poète chinois) calligraphie, peinture. Claude Roy a écrit un joli petit livre : L’ami qui venait de l’an mil (Gallimard) où Su Shi apparait sous un jour très attachant.
Sa carrière politique eût des hauts et beaucoup de bas. Il connu la prison et l’exil. Le poème présenté aujourd’hui a été écrit à l’occasion d’un de ses nombreux exils.

  卜算子
  
  缺月挂疏桐,漏断人初静。谁见幽人独往来,缥缈孤鸿影。
  惊起却回头,有恨无人省。拣尽寒枝不肯栖,寂寞沙洲冷。

Essai de traduction :
La lune manquante (incomplète) sur l’arbre platane, le silence règne après minuit. Une personne va et vient seule comme l’ombre de l’hirondelle solitaire, qui s en aperçoit? L’hirondelle (le poète) se retourne surprise, emplie d’une tristesse que personne ne comprend. Dédaignant les branches froides, elle préfère rester seule dans son monde.

Nous demandons l’indulgence des lecteurs pour cette traduction et nous serions heureux si un lecteur voulait la corriger. Elle a toutefois donnée lieu à un échange entre Yan et moi qui illustre bien la difficulté de transcrire, dans une traduction, deux systèmes symboliques différents.

Commentaires sur la traduction :
Certaines difficultés de traduction illustrent bien les liens qui existent entre la langue et la pensée, liens développés par Joël Bellassen dans sa dernière conférence.
缺月: Lune manquante.Yan précise qu’il s’agit de la lune pas encore pleine. Je lui fais remarquer que l’on pourrait traduire par croissant de lune. Elle préfère garder lune manquante (lune incomplète) qui exprime mieux la solitude du poète. La solitude est synonyme d’absence (Voir Hopper), de manque d’incomplétude. Bien sûr ces notions ne seraient pas rendues par la traduction  croissant de lune . Dans la culture chinoise la lune dans sa plénitude symbolise la réunion des familles et des amis. A l’inverse la lune non pleine évoquera la solitude.
- Arbre platane. Je fais remarquer que le platane a été introduit en Chine plusieurs siècles après la mort de Su Shi. Yan répond que le platane dont je parle est le platane des Français. Dans le poème il s’agit de l'arbre wu tong(梧桐) dont le nom latin est Firmiana simplex. Cet arbre est d'origine chinoise ou japonaise. Il s'agit donc du sterculia à feuilles de platane nommé parfois parasol chinois.
- Il y a une assimilation entre l’hirondelle qui ne veut pas se poser sur les branches froides, humides et le poète qui ne veut pas se compromettre avec des hommes n’ayant pas les mêmes conceptions que lui.
- Il est intéressant de noter ce fameux caractère han(2) traduit par froid (ici branches froides). Il nous avait déjà posé problème dans la chanson Chang ting wai où il qualifiait les rêves : jin xiao bie meng han : cette nuit nos rêves séparés seront froids. Branches froides, rêves froids. Il y a certainement là une notion riche pour les Chinois qu’il est difficile de traduire en français.

Voilà. Un grand merci à Yan pour son aide amicale.

Le poème français
Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (1594-1661) fréquenta les milieux libertins. Il avait la réputation d’être un bon vivant et s’appelait lui-même « le bon gros Saint-Amant ». Il composa l’Ode à la Solitude à Belle-Ile en Mer (ile bien connue de notre chorale).
Ce poème parle beaucoup à notre imaginaire. Il nous rappelle nos années d’écolier et le Lagarde et Michard où Saint-Amant occupait quelques pages. La délicieuse orthographe et la langue du XVII° ont le charme des choses surannées. On les imagine écrites sur un vieux livre. Le poème convoque les nymphes, les naïades, les sylvains, souvenirs de la mythologie grecque. Précurseur du romantisme, le poème évoque le charme des châteaux en ruine. Ici la solitude n’est pas vécue comme un manque mais au contraire comme une possibilité de trouver un refuge dans la nature contre la société, parfois destructrice des hommes.

Voici quelques strophes de l’Ode à La Solitude

Ô que j’ayme la solitude !
Que ces lieux sacrez à la nuit,
Esloignez du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Mon dieu ! que mes yeux sont contens
De voir ces bois, qui se trouverent
A la nativité du temps,
Et que tous les siecles reverent,
Estre encore aussi beaux et vers
Qu’aux premiers jours de l’univers !
……
Que j’aime ce marets paisible !
Il est tout bordé d’aliziers,
D’aulnes, de saules et d’oziers,
A qui le fer n’est point nuisible.
Les nymphes, y cherchans le frais,
S’y viennent fournir de quenouilles,
De pipeaux, de joncs et de glais ;
Où l’on voirt sauter les grenouilles,
Qui de frayeur s’y vont cacher
Si tost qu’on veut s’en approcher.
…..
Que j’ayme voir la décadence
De ces vieux chasteaux ruinez,
Contre qui les ans mutinez
Ont deployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabat ;
Les demons follet s’y retirent,
Qui d’un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martirent ;
Là se nichent en mille troux
Les couleuvres et les hyboux.

La solitude en musique dans l’Angleterre du XVII° siècle
Avec le magnifique O solitude, my sweetest choice d’Henry Purcell (1658-1695) composé sur le poème de Saint-Amant. Si vous pouvez prenez le temps d’écouter cet aria, il est sublime.



Dans un prochain article nous continuerons à mettre en relation les poèmes chinois et français. Mais nous prendrons un sujet plus léger : les comptines enfantines et du côté français nous croiserons la marquise de Pompadour, Théodore de Banville, Gérard de Nerval….
Jean-Louis

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