Pourquoi
rassembler dans un même article un conte chinois, un mythe grec et un roman
anglais ? C’est qu’ils ont un thème commun : l’Autre, l’altérité.
Le
conte chinois, L’oiseau bleu, est résumé par Françoise dans un commentaire à
son article sur le film The assassin.
Je vous y renvoie. Voici ce qu’elle écrit en conclusion de son commentaire :
l’homme ne peut pas vivre en se cherchant lui-même ou un double
identique mais bien dans le rapport à l’autre, dans l’altérité. Cette conclusion convient parfaitement aux deux autres récits : le mythe de Dionysos et le roman de Joseph Conrad : Un paria des îles.
De
Dionysos je savais qu’il était né de la cuisse de Jupiter et que c’était le
dieu de la vigne et du vin (voir Bacchus, son double romain). Je ne savais pas
que c’était la figure de l’Autre, de l’ailleurs et qu’il nous renvoyait à la
nécessaire présence de l’Autre. Dionysos est un dieu à part. Né des amours de
Zeus et d’une mortelle, Sémélé, on dit de lui qu’il a quelque chose d’oriental,
qu’il n’a pas l’allure d’un Grec de « pure souche » mais qu’il a l’air
de ce que les Grecs nomment un « métèque », un étranger. Pis encore,
pour échapper à la vengeance d’Héra, la femme de Zeus, il est déguisé en fille
dans un monde qui ne valorise que les hommes dans l’espace public (Voir Luc
Ferry, La sagesse des mythes). C’est
le dieu de l’illusion et donc du théâtre. Il cultive la folie, la « mania »
et l’excentrisme. A quoi sert ce mythe ? Que nous enseigne t-il ? Jean-Pierre
Vernant nous le révèle à la fin de l’entretien. Si l’on ne sait pas faire une
place à l’Autre, à la folie, à la transgression on est bientôt possédé par l’Autre,
par la folie, par la transgression. C’est ce qui arrive aux dignes matrones de
Thèbes qui s’en vont « battre la campagne ». C’est aussi ce qui
arrive au héros du roman de Joseph Conrad : Un paria
des îles.
Vous
noterez la singulière actualité des propos de Jean-Pierre Vernant. Pour la
petite histoire, vous noterez également qu’au
début de l’entretien l’helléniste rend hommage à son maître Louis Gernet. Ce
patronyme ne vous est pas inconnu. Louis Gernet est le père du sinologue
Jacques Gernet.
D’origine
polonaise, Joseph Conrad (1857-1924) partit à dix-sept ans pour Marseille afin de devenir marin. Il navigua sur des navires français avant d’obtenir ses
brevets d’officier dans la marine marchande britannique et de devenir l’un des
plus grands écrivains de langue anglaise. C’est le grand romancier de l’ailleurs. Peter
Willems, le héros d’un Paria des îles
est un Blanc de pure souche sûr de la supériorité de sa race. Mais voilà, il
tombe « en passion » pour une fille des îles, pour une sauvage. Il ne
saura pas faire une place à l’Autre, il sera possédé par l’Autre. Ce rejet des autres, ce rejet de la différence le
conduira à une folie proprement dionysiaque et à la mort.
Conrad
décrit en des termes très forts cette attirance/répulsion pour l’Autre : Il était emporté par une marée de haine, de
dégoût, par le mépris d’un Blanc pour un sang qui n’est pas le sien, pour cette
race qui n’est pas la sienne ; pour la peau noire, pour les cœurs faux
comme la mer, plus sombres que la nuit.
Ce sentiment de répulsion dominait sa raison lui donnait la certitude absolue qu’il
était impossible vivre dans l’entourage d’Aïssa. Il insista passionnément pour
qu’elle acceptât de s’enfuir avec lui, parce que, de tous ces gens abhorrés, il
ne voulait que cette seule femme, mais il la voulait loin d’eux, loin de cette
race d’esclaves et d’assassins dont elle était issue. Il la voulait toute à
lui, loin de tous, en sécurité dans une solitude sans bruit. Pendant qu’il
parlait, sa colère et son mépris s’exacerbèrent, sa haine tourna presque à la
peur ; et son désir pour Aïssa devint immense, brûlant, illogique
impitoyable, envahissant tout son être, plus fort que sa haine, plus fort que
sa peur, plus profond que son mépris –irrésistible et fatal comme la mort.
Voici
ce qu’écrit J-M G Le Clézio, un autre grand écrivain de l’ailleurs, à propos de
ce roman : Je sens ici, à un point
presque intolérable, cette quête incessante de l’autre. L’amour, la folie d’une
passion sont dans cette brûlure.
Jean-Louis
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