Hésiode
Ce petit article pour
donner une réponse à la question que nous nous posions dans les messages
précédents : pourquoi la pensée chinoise a relativement peu emprunté les
voies de la théologie et de la mythologie pour expliquer le commencement et le fonctionnement
du monde ?
Nous sommes partis d’une
remarque de Françoise signalant le caractère corrélatif (la couleur bleu/vert
est associée au printemps et à l’élément bois) et changeant de toute réalité (les couleurs
sont des étapes de transformation)
Caractère corrélatif :
Les réalités au lieu au
lieu d’être conçues comme des substances stables indépendantes les unes des
autres sont perçues dans un système de correspondances. Les réalités sont
corrélées à d’autres en fonction d’une analogie de structure ou de
fonctionnement.
Ainsi
« l’élément/agent bois » est corrélé au printemps et à la couleur
vert/bleu car ils évoquent tous les trois la vitalité et le renouveau. Ces
correspondances s’étendent à d’autres domaines de la réalité. A chaque saison
correspond une bonne pratique de la médecine, de l’hygiène, de l’alimentation.(Une personne plus versée que moi dans ces pratiques pourraient peut-être développer).
Ce
caractère corrélatif de toute réalité est clairement souligné par Anne Cheng dans
son Histoire de la pensée chinoise : Il
résulte (du caractère corrélatif de toute réalité) une vision du monde, non pas
comme un ensemble d’entités discrètes et indépendantes dont chacune constitue
en elle-même une essence, mais comme un réseau continu (un continuum) de
relations.
Caractère changeant
Ces systèmes de correspondances « s’emboitent » dans un cycle d’engendrement/mutation/transformation.
Ainsi
le système de correspondances Bois/printemps/est/Bleu-vert engendre le système
de correspondances Feu/été/sud/rouge. On le voit les « éléments/agents »,
les saisons de l’année, les directions, les couleurs sont bien, comme l’indiquait
Françoise, des étapes de transformation. Le modèle (paradigme) de toutes ces
mutations/transformations est le couple Yin/Yang. Le couple Yin/Yang
est le modèle des opposés complémentaires qui s’engendrent et se succèdent l’un
à l’autre.
Nous
en savons maintenant assez pour répondre à la question posée au début de cet
article. La solution chinoise apportée au problème de l’apparition des êtres et
au fonctionnement du monde apparaîtra dans son originalité si on la compare à
celles fournies par la Bible et la mythologie.
La Bible, la Théogonie
d’Hésiode, le Yi Jing
La Bible commence par
la fameuse phrase : « Au commencement, Dieu créa les cieux et le terre ».
Ainsi est posée l’existence d’un Dieu, Sujet créateur extérieur à la création.
La réponse de la
mythologie grecque à la question du commencement et de l’ordonnancement du
monde se trouve principalement dans la Théogonie d’Hésiode (VII° siècle avant
J.C). La Théogonie (mot qui signifie naissance des dieux) est un poème où
Hésiode raconte la naissance des dieux, leurs combats, leur rapports avec les hommes
et après bien des aventures l’ordonnancement du monde par Zeus le roi des dieux.
Si vous souhaitez découvrir facilement ces récits magnifiques qui sont, comme
la Bible, au fondement de notre culture vous pouvez le faire à travers les DVD
de Jean-Pierre Vernant déjà cités ou grâce au livre de Luc Ferry La
sagesse des mythes.
Venons en à la vision chinoise. En tête du Yi Jing,
deux figures. La première est composée uniquement de traits yang : c’est
qian, l’initiateur, la capacité initiatrice. La seconde, composée uniquement de
traits yin, se nomme kun, la capacité réceptrice. Par le jeu et l’alternance de
ces deux capacités les dix mille êtres vont sortir du vide et de l’indétermination pour entrer dans le plein et
le déterminé, vont passer, selon la terminologie chinoise, du virtuel au
manifeste. Ce passage se fait spontanément, de soi-même (notion de ziran traduit
en général par « de soi-même ainsi ») sans l’intervention d’un Dieu ou
de dieux.
Anne Cheng résume
parfaitement la vision chinoise : La
conception chinoise de la réalité comme continuum tend à privilégier la notion
de rythme cyclique…plutôt que celle d’un commencement absolu ou d’une création
ex nihilo. Si les textes chinois font occasionnellement référence à des
représentations cosmogoniques (mythologiques) de l’origine ou de la genèse du
monde, celui-ci est représenté de manière prédominante, comme allant « de
soi-même ainsi » suivant un processus de transformation. La réflexion
sur les fondements ne se pose guère la question des éléments constitutifs de l’univers
et encore moins celle de l’existence d’un Dieu créateur : ce qu’elle
perçoit comme premier est la mutation, ressort du dynamisme universel qu’est le
souffle vital.
Ces différences de
représentations entre la Bible, la Théogonie, le Yi Jing ne sont pas anecdotiques.
Elles ont des répercussions dans tous les domaines : philosophique, scientifique, politique,
moral, artistique…
Ainsi, par exemple, prenons le domaine de l’art. La conception d’un Dieu créateur extérieur à sa
création favorisera la représentation de l’artiste créateur extérieur à sa
création, condition, dans le domaine de la peinture de l’apparition de la
perspective linéaire longtemps ignoré dans la peinture chinoise qui lui préfère
la perspective cavalière. Cela mériterait de nombreux développements. Ne pensez-vous pas ?
Jean-Louis
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