Médée, peinture romaine
Le
poème « Les colchiques » de Guillaume Apollinaire a donné lieu à de
nombreuses études parfois fort érudites je pense notamment à celle de
Jean-Claude Coquet (in Sémiotique littéraire), à celle de Claude Lévi-Strauss
(in Le regard éloigné) ou encore à celle
de Bernard Mirgain : http://bmirgain.skyrock.com/1416015969-COMMENTAIRE-LES-COLCHIQUES-APOLLINAIRE.html
. Le lecteur curieux pourra s’y reporter.
Dans
le cadre de cet article, je me contenterai de puiser dans ces études les
informations concernant les différents noms donnés au colchique au fil des
siècles et dans différents pays. Outre
le charme des mots, nous verrons que ces noms éclairent le poème et permettent
de résoudre la petite énigme posée par la locution « Mères filles de leurs
filles ».
Le
colchique était parfois appelé veillote parce que sa floraison a lieu à
l’époque où commencent les longues veillées. Les
anciens botanistes le nommaient Filius ante patrem (le fils avant le père) car
l’apparition des fleurs précède de plusieurs mois celle des feuilles : la
première se produit à l’automne, la seconde au printemps de l’année suivante.
Cette particularité suffirait pour éclairer l’épithète « mère fille de
leurs filles ». Apollinaire était assez érudit pour avoir choisi de
remployer ces vieux termes. Il connaissait probablement aussi leur lointaine
origine mystique qui leur donne plus de saveur et les rend éminemment propres à remplir une fonction poétique. On
retrouve, par exemple, l’expression chez Chrétien de Troyes parlant de la
Vierge Marie : « Puisse vous l’accorder le glorieux père qui fit de sa
fille sa mère ! »
Venons
en maintenant à l’étymologie du mot colchique. Ce nom est dérivé de Colchide,
une région d’Asie mineure, actuelle Georgie. C’est là que vivait Médée. L’histoire
de Médée, particulièrement sombre, est
ponctuée de meurtres et de fuites. Médée, était
la fille d'Æétès, roi de Colchide. Très tôt, Médée, comme sa tante Circé,
devint une magicienne habile et une prêtresse d'Hécate. Quand les Argonautes
débarquèrent en Colchide, pour conquérir la Toison d'or, ils se heurtèrent à
l'hostilité d'Æétès, gardien du trésor. Cependant ils reçurent l'appui de Médée
qui s'était éprise de Jason. Experte en magie, elle donna à son amant un
onguent dont il devait s'enduire le corps pour se protéger des flammes du
dragon qui veillait sur la Toison d'or. Elle lui fit aussi présent d'une
pierre, qu'il jeta au milieu des hommes armés, nés des dents du dragon:
aussitôt, les guerriers s'entre-tuèrent et le héros put s'emparer de la Toison
Pour remercier Médée, Jason lui proposa de l'épouser. La magicienne s'enfuit
alors avec lui, et, afin d'empêcher Æétès de les poursuivre, elle tua son frère
Absyrtos, dont elle sema les membres sur sa route pour retarder les
poursuivants Selon la légende les colchiques seraient nés d’une goutte de poison détenu par Médée et
tombée au sol. D’Euripide à Anouilh, de Charpentier à Darius Milhaud, de
Pasolini à Lars von Trier le mythe de Médée a donné naissance à un nombre
impressionnant de tragédies, d’opéras et de films.
Guillaume Apollinaire grand connaisseur de la mythologie a
certainement pensé à cette légende en écrivant son poème. Sans doute savait-il
également que les Anglais désignent le colchique par le mot "meadow
saffran" (le safran des prés, aux vertus aphrodisiaques) et le surnomment
"naked lady »" (femme nue). Les Allemands le nomment couramment
"Herbstzeitlos" (ce qui signifie automne éternel). Dans certains
parlers dialectaux ou régionaux, le colchique se dit "nakte Jungfer"
(la vierge nue) ou bien « Nackte Hur » (la prostituée nue). La notion de nudité
associée au colchique que l’on retrouve en Angleterre et en Allemagne s’expliquant
par l'absence de feuilles vertes autour de la fleur puisque comme on l’a vu
plus haut les feuilles apparaissent après les fleurs.
J’ai maintenant une question pour
nos amis chinois : comment dit-on colchique en chinois ? Y a-t-il des
légendes attachées à cette fleur ?
Ce poème est peut-être un peu dérangeant car l’amour y rime avec
souffrance, Eros avec Thanatos. Cela s’explique par des éléments biographiques :
placé juste après “La chanson du mal aimé”, il appartient au
« Cycle d’Annie » en souvenir de son amour malheureux pour Annie Playden.
Mais maintenant, toutes choses apaisées et sublimées et pour reprendre les mots
de Marguerite Yourcenar et d’Aragon peut-être peut-on pardonner aux colchiques
et à Médée comme « on pardonne à l’amour qui fait tant souffrir » car
« la souffrance engendre les songes comme une ruche ses abeilles » :
un poème, un air de guitare, un opéra.
Pour terminer cet article revenons à notre question :
faut-il expliquer un poème ? Les différents noms donnés au colchique nous
ont conduits à ouvrir les livres des anciens botanistes, à rencontrer les
Argonautes à la recherche de la Toison d’or, à nous promener dans les prairies
d’Angleterre et d’Allemagne. Dans son étude sur le poème d'Apollinaire, Claude
Lévi-Strauss écrit : « Si une figure mythique, poétique ou plus
généralement artistique nous émeut, c’est parce qu’elle offre à chaque niveau
une signification spécifique qui reste néanmoins parallèle aux autres
significations, et parce que, de façon plus ou moins obscure, nous les
appréhendons toutes en même temps ». C’est pourquoi personnellement j’aime
les commentaires, les notes qui nous aident à mieux comprendre un poème et d’une
manière plus générale une œuvre d’art.
Cela est vrai pour les poèmes français, cela l’est encore
plus pour les poèmes chinois pour lesquels il faut non seulement expliquer le
contexte culturel mais où l’on se heurte également à des problèmes de
traduction. Ce soir, Marie-Claude et Michel m’ont prêté une anthologie de poèmes
chinois. J’y ai retrouvé un poème de Tao Yuanming que j’avais déjà lu dans une
autre anthologie. Mais entre les deux anthologies la traduction est
sensiblement différentes. C’est ce que nous verrons dans un prochain article en
espérant qu’un membre de notre chère chorale pourra nous aider à mieux comprendre
le poète chinois.
Jean-Louis
2 commentaires:
Comme j'ai pris du retard, je commente les 2 articles à la fois.
D'abord, merci, c'est vraiment intéressant cette mise en perspective. Je ne me souvenais pas de ce poème d'Apollinaire et je le trouve très riche de différents niveaux de symbolique.
Juste pour le 1er article, tu dis que l'on est bien en automne, j'en profite pour signaler que notre découpage des saisons n'est pas celui de la tradition chinoise.
Les saisons chinoises débutent
toujours entre les solstices et les équinoxes. Les saisons chinoises ne correspondent donc pas à celles établies aujourd'hui, dans les pays occidentaux. Le solstice et
l'équinoxe ne désignent pas le début de la saison mais leur milieu, comme un paroxysme de la saison. On retrouve bien sûr nos quatre saisons : printemps, été, automne et hiver mais qui ne durent qu'environ 2 mois 1/2, ce qui crée des intersaisons d'un peu plus de 15 jours représentant un passage par l'élément terre. Du coup, pour les Chinois, nous sommes déjà en hiver.
Pour finir, je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'il faut expliquer les poèmes comme bien d'autres oeuvres d'art. Cela n'enlève rien au ressenti que l'on peut en avoir mais au contraire l'enrichit d'autres dimensions.
J'espère aussi que l'on pourra aller un peu plus loin dans l'étude de poèmes chinois.
Merci pour ces explications.
Je connaissais le décalage des saisons entre notre tradition et la tradition chinoise. On célèbre la fête du Printemps au milieu de notre hiver. Par contre je n’avais jamais lu exposé d’une manière aussi claire le mécanisme de ce décalage. Je ne connaissais pas non plus cette notion d’intersaison. Du coup je me suis intéressé aux raisons de ce décalage et j’ai compris que ce décalage était lié à la médecine chinoise et particulièrement à l’acupuncture. Ainsi les intersaisons qui correspondent à l’élément terre sont des moments privilégiés pour renforcer l’organisme sur le plan énergétique et préparer la saison à venir.
Une conférence sur la médecine chinoise nous en dira certainement plus. Nous l'attendons avec impatience.
Merci pour ces commentaires qui non seulement font vivre le blog mais surtout éveillent notre curiosité.
Jean-Louis
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