Lorsque Claude Lévi-Strauss était en poste à New-York comme attaché culturel, il fréquenta beaucoup les milieux surréalistes. Il leur emprunta certainement le goût des rapprochements insolites, innattendus. Ainsi il disait redécouvrir Florence en visitant New-York. Un peu de cette manière, je vous propose, aujourd'hui d'aborder certains aspects de la pensée chinoise en "visitant" les mythes des indiens d'Amérique. Cela peut sembler, à première vue, paradoxal. En effet, selon Anne Cheng, on constate "la pauvreté des mythes de la Chine ancienne, du moins tels qu’ils nous sont parvenus » Histoire de la pensée chinoise P.55
Pourtant,
il me semble que, malgré leurs évidentes différences, on peut relever des
points de convergence entre la pensée mythique amérindienne et la pensée
chinoise classique.
Ces
points de convergence trouvent, sans doute, leur origine dans la recherche ou
dans la nostalgie de l’unité du monde.
Dans
la pensée mythique, cette nostalgie de l’unité du monde trouve son expression
dans la définition même du mythe : « une histoire du temps où les
hommes et les animaux n’étaient pas encore distincts ». Claude
Lévi-Strauss, De près et de loin
Pour
la pensée chinoise « l’unité recherchée …tout au long de son histoire est
celle même du souffle (qi), influx ou énergie vitale qui anime l’univers
entier….A la fois esprit et matière, le souffle assure la cohérence organique
de l’ordre des vivants à tous les niveaux. » Anne Cheng ibidem.
Cette
recherche ou cette nostalgie de l’unité du monde entraine, me semble t-il, des
points de convergence entre la pensée mythique et la pensée chinoise à trois
niveaux :
-
Une tendance à des explications
englobant la totalité des phénomènes
-
Une tentative pour dépasser l’opposition
entre le sensible et l’intelligible
-
La primauté accordée à la relation.
-
Une tendance à des explications
englobant la totalité des phénomènes
Pour
Claude Lévi-Strauss l’esprit des mythes consiste « à l’opposé de la
méthode cartésienne, par un refus de diviser la difficulté, ne jamais accepter
de réponse partielle, aspirer à des explications englobant la totalité des
phénomènes. Le propre du mythe, c’est confronté à un problème, de le penser
comme l’homologue d’autres problèmes qui se posent sur d’autres plans :
cosmologique, physique, morale, juridique et social …Et de rendre compte de
tous ensemble. » De près et de loin,
Editions Odile Jacob. Ainsi, par exemple, un mythe
expliquera pourquoi le soleil ne doit pas se trouver trop près de la terre car
alors la chaleur serait excessive ni trop loin car les hommes périraient de
froid. Cette bonne distance doit se retrouver dans les règles du mariage. Un
homme ne doit pas chercher une femme trop loin de son clan car il risquerait d’épouser
une ennemie, voire une sorcière, ni trop près car il commettrait un inceste.
De
la même manière dans la pensée chinoise « L’harmonie qui prévaut dans le
cours naturel des choses est à maintenir dans l’existence et les relations
humaines » Anne Cheng, ibidem P. 38
-
Une tentative pour dépasser
l’opposition entre le sensible et l’intelligible
« Si
la science moderne a pu se constituer, c’est au prix d’une rupture entre les
deux ordres, entre ce qu’au XVII° siècle on appelait les qualités secondes – c’est
à dire les données de la sensibilité : couleurs, saveurs, bruits, textures
– et les qualités premières non tributaires des sens, qui constituent la vraie
réalité. Or, il me semblait que la pensée des peuples dits « sauvages »,
restée rebelle à cette distinction, menait toute sa réflexion au niveau des
qualités sensibles et parvenait néanmoins à construire sur cette seule base une
vision du monde non dépourvue de cohérence ni de logique. Et aussi, plus
efficace qu’on n’a coutume de le croire ». CLS, ibidem P. 155.
La
pensée chinoise est restée elle aussi « rebelle » à la distinction
entre l’ordre sensible et l’ordre intelligible. Des notions comme le yin (l'humide, le principe féminin ....) et le
yang (le sec, le principe masculin ...) ou encore le souffle appartiennent autant à l’ordre sensible qu’à l’ordre
intelligible.
-
La primauté accordée à la relation.
Pour
Lévi-Strauss un mythe, un masque indien, d’une manière générale un phénomène
quelconque ne peuvent jamais s'interpréter en eux-mêmes et par eux-mêmes, comme
des objets séparés. Ils ne peuvent se comprendre, ils n’existent que dans les
relations qu’ils entretiennent avec d’autres mythes, d’autres masques, d’autres
phénomènes de même nature.
Anne
Cheng dit sensiblement la même chose quand elle évoque la réflexion chinoise
sur la relation : « celle-ci n’est pas comprise comme un simple lien
venant s’établir entre des entités préalablement distinctes, elle est
constitutive des êtres dans leur existence et leur devenir ». Ibidem P. 41
On
pourrait évoquer encore d’autres points de convergence entre la pensée chinoise
et cette fois le structuralisme, par exemple l’effacement de la notion de
sujet.
Il
semble intéressant de constater que la recherche de l’unité du monde transposée
dans des contextes et des modes de pensées très différents produit des ensembles
présentant la même cohérence.
Jean-Louis
1 commentaire:
Que de pistes de réflexion sont ouvertes!
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