
Jia Baoyu
Voilà bien longtemps que nous n’avons pas parlé du
Rêve dans le Pavillon Rouge. Cela ne pouvait plus durer !
On sait l’importance que la pensée chinoise accorde à l’indistinction, à l’indifférenciation, cet état de virtualité où les choix n’ont pas été encore faits, où tous les possibles sont encore possibles.
Cette notion est présente dans la conception du monde : les dix mille être naissent de l'indifférencié. Elle inspire l'esthétique : regardez sur cette gravure comme les arbres, les rochers, les plis de la robe du personnage se confondent.
En amour, cet état d’indistinction s’appelle le désir d’aimer. Il y a, là-dessus, de belles pages dans
La Recherche du Temps perdu. : « au commencement d’un amour comme à sa fin, nous ne sommes pas exclusivement attachés à l’objet de cet amour, mais plutôt le désir d’aimer dont il va procéder …erre voluptueusement dans une zone de charmes interchangeables… »
Jia Baoyu, le héros du
Rêve dans le Pavillon Rouge, comme le narrateur de
La Recherche du Temps Perdu sont dans le désir d’aimer toutes les jeunes filles qui les entourent : « Tel pour moi cet état amoureux divisé simultanément entre plusieurs jeunes filles. Divisé ou plutôt indivis, car le plus souvent ce qui m’était délicieux…c’était tout le groupe de ces jeunes filles, prises dans l’ensemble de ces après-midi sur la falaise … »
Je ne pense pas que Baoyu soit infidèle à Lin Daiyu. Seulement, il est encore dans le désir d’aimer et n’a pas encore franchit le pas de l’amour comme l’a fait Lin (mais c’est normal, elle est plus avancée : c’est une fille !).
Baoyu ou le désir d’aimer, Baoyu ou le refus de grandir. Comme Peter Pan, il refuse de quitter l’enfance, ce monde où les choix ne sont pas fait, où tout est encore possible. Car quitter l’enfance, c’est quitter le paradis, hors du temps, de l’indetermination, c’est entrer dans le monde des adultes, des choix, de la renonciation et du temps qui passe.
Jean-Louis