
La vie et l’œuvre de Claude Lévi-Strauss sont un long plaidoyer en faveur du respect de la diversité des cultures, un cri d’alarme contre les dangers de l’uniformisation. Il partage avec Jean-Marie Gustave Le Clézio une tendresse particulière pour les populations les plus humbles, les plus défavorisées, mais dont la culture recèle, recelait des trésors inestimables.
En nous décrivant les masques, les sculptures, les œuvres d’art, les coutumes, les mythes de ces populations, il nous invite à retrouver ces lieux magiques « où les rêves de l’enfance se sont donné rendez vous ; où des troncs séculaires chantent et parlent ; où des objets indéfinissables guettent le visiteur avec l’anxieuse fixité des visages ; où des animaux d’une gentillesse surhumaine joignent comme des mains leurs petites pattes, priant pour le privilège de construire à l’élu le palais du castor, de lui servir de guide au royaume des phoques, ou de lui enseigner dans un baiser mystique le langage de la grenouille ou du martin pécheur. »

Fillette Nambikwara
Lorsque les petits singes parlaient encore aux enfants
Je ne sais si Claude Lévi-Strauss est connu en Chine. Peut-être nos amis chinois pourront-ils nous le dire ?
Il serait, bien sûr, hasardeux de faire des rapprochements entre la culture des peuples amérindiens et la culture chinoise. Pourtant j’ai noté avec amusement que le caractère magique, tabou des noms existait chez les uns comme chez les autres.
Claude Lévi-Strauss raconte dans « Tristes Tropiques » l’anecdote suivante :
« Un jour que je jouais avec un groupe d’enfants, une des fillettes fut frappée par une camarade ; elle vint se réfugier auprès de moi, et se mis, en grand mystère, à me chuchoter quelque chose à l’oreille, que je ne compris pas et que je fus obligé de faire répéter à plusieurs reprises, si bien que l’adversaire découvrit le manège, et, manifestement furieuse, arriva à son tour pour livrer ce qui parut être un secret solennel : après quelques hésitations et questions, l’interprétation de l’incident ne laissa plus de doute. La première fillette était venue, par vengeance, me donner le nom de son ennemie, et celle-ci quand elle s’en aperçut, elle communiqua le nom de l’autre en guise de représailles. »
Partageant ce tabou attaché aux noms, la soeurette Lin, héroïne du Rêve dans le Pavillon Rouge, ne prononce jamais le mot « Diligence » qui est le nom de sa mère.
Village Sous La Pluie, précepteur de Lin, raconte : « je me suis toujours étonné …de constater que chaque fois que ma petite élève rencontre, en lisant sur un texte à haute voix, le caractère d’écriture signifiant min « diligence », elle le prononce comme doit se prononcer le caractère mi signifiant « secret » ; et quand il lui arrive de devoir écrire ce caractère, elle ne manque jamais d’en retrancher un ou deux traits ».
Confirmant l’actualité de ce tabou, notre professeur de culture chinoise, nous disait lundi soir que, lorsqu’elle était à l’école, si un de ses petits camarades prononçaient devant elle le nom et le prénom de ses parents cela était considéré comme une insulte car trop direct, trop personnel.
Claude Lévi-Strauss est un de ceux qui nous invitent à requestionner des notions qui paraissaient évidentes dans sa jeunesse : le caractère univoque du progrès, la supériorité des civilisations dominantes et notamment de la civilisation occidentale. Il nous invite à réfléchir sur une des questions importantes de notre temps : comment maintenir ou réinventer la diversité et la richesse des cultures ? Son message de tolérance et de respect des autres continue à nous faire penser.
Jean-Louis