En lisant les romans chinois, on est frappé par les nombreuses références à des adages, à des proverbes dont les héros émaillent leur conversation.
Emmanuel Cornet le signale dans son petit livre « A la découverte du chinois » :
« Les chinois utilisent bien davantage (que nous) les proverbes dans leurs discussions... Un texte français qui s’appuierait trop sur des poncifs rabattus serait vite discrédité par excès de clichés ; au contraire un texte chinois qui ne comporterait pas son petit lot de maximes pourrait …être taxé de manque d’un nombre minimal d’images connues de tous pour constituer une base à son propos.
Cette caractéristique de la conversation courante, Anne Cheng nous indique qu’il s’agit d’un fondement de la pensée chinoise pour laquelle il s’agit moins de trouver que de retrouver : « Les Classiques … constituent un vaste réservoir de l’expérience humaine et de la sagesse des hommes accumulées tout au long des siècles, un trésor d’exempla qui peuvent s’appliquer en toute occasion. Une littérature de précédents qui se donne un modèle canonique n’a pas pour exigence première la recherche de l’originalité. Même si l’on compte de fortes personnalités et de pensées puissantes, il s’agit en grande partie d’une littérature de commentaires, présentés ou non explicitement comme tels.
« Le plus souvent, le texte constitue au sens propre un tissu qui suppose chez le lecteur une familiarité avec des motifs récurrents…les textes chinois s’éclairent dès lors que l’on sait à qui ils répondent. Ils ne peuvent donc constituer des systèmes clos puisque leur sens s’élabore dans le réseau des relations qui les constituent. Au lieu de se construire en concepts, les idées se développent dans ce grand jeu de renvois qui n’est autre que la tradition et qui en fait un processus vivant. »
«Contrairement au discours philosophique hérité du logos grec qui éprouve le besoin constant de rendre compte de ses fondements et propositions, la pensée chinoise, opérant à partir d’un substrat commun implicitement accepté, ne saurait se présenter comme une succession de système théoriques. Confucius, pourtant considéré comme le premier auteur chinois à s’exprimer en son propre nom, n’annonce-t-il pas d’emblée : Je transmets, sans rien créer de nouveau. »
Le Rêve dans le Pavillon Rouge et particulièrement son chapitre 17 illustre parfaitement ce fonctionnement. Il s’agit de nommer les sites du parc où sera accueillie la sœur du héros devenue Honorable Compagne Impériale.
C’est une opération importante car comme le souligne le Père du héros « il est bien certain que, privés de toute inscription, et même avec l’appoint des fleurs, des saules, des coteaux et des bassins, les divers sites si grandioses soient-ils …ne seront guère mis en valeur ».
Pour mener à bien cette opération, nous voyons Jia le Politique, ses conseillers et son fils puiser dans les textes Anciens pour nommer les différents sites du parc et par conséquent parachever leur beauté et les rattacher à l’ordre du monde.
Quand Jia le Politique lui demande de nommer un lieu, Jade Magique répond, voulant, sans doute plaire à son père :
« Mieux vaut reprendre d’anciens textes que d’en composer de nouveaux ; plutôt graver ceux des vieux maîtres que les ouvrages du présent. »
Jia le Politique arrive devant un kiosque. Il s’adresse à ses conseillers :
« Quelle inscription, Nobles Sieurs, proposez vous pour ce kiosque ?
- Autrefois, répondirent d’une seule voix tous les conseillers, dans la description lyrique du Kiosque du Vieillard ivre, Ouyang Xiu a dit de ce Kiosque qu’il prenait fièrement essor. Donnons à celui-ci le nom de Fier Essor. »
Un peu plus loin, il s’agit de nommer un logis :
« Ce logis n’est vraiment pas mal ! s’écria Jia le Politique ; qui saurait, par les nuits de lune, venir faire lecture des textes sous ces croisées pourrait ne plus mener dans ce monde une inutile et vaine existence…
« Il faut ici une inscription frontale de quatre caractères d’écriture…
- A l’exemple de la rivière Qi, proposa l’un
- Banal, répondit Jia le Politique
- Vestiges du jardin sur la Sui, risqua l’autre.
- Egalement banal ! répondit Jia le Politique. »
Après un débat sur la pertinence des références, c’est finalement Jade Magique qui va trouver le nom qui convient :
« Si cette inscription doit être de quatre caractères d’écriture, il n’en manque pas de toutes prêtes, dans les ouvrages des Anciens. A quoi bon en inventer d’autres ? »
C’est à tout cela que l’on peut rêver en visitant les jardins de Suzhou et en se promenant sur ses canaux en écoutant la chanson du batelier…
A suivre
Jean-Louis