le repas de midi toujours aussi convivial
mardi 9 mai 2017
sortie du 07 mai 2017
vendredi 10 mars 2017
Les mots de Jean-Pierre
Jean-Pierre vient de nous quitter mais il nous a laissé des mots que je voudrais rappeler ce soir.
Certains continuent à nous communiquer son indéfectible optimisme et on
pourrait les prendre comme devise. Ainsi à la veille des sorties Chinafi il
disait toujours quelque soient les prévisions de la météo : « Demain
il fera beau ».
D’autres
nous font encore rire : « Quand je parle chinois je n’ai pas de
problème ce sont les Chinois qui ont des problèmes. »
D’autres
nous font réfléchir. « Si un arbre tombe dans une forêt où il n’y a
personne pour assister à la chute, le bruit de la chute existe-t-il ? ».
Il faisait allusion à l’interaction de l’observateur et des phénomènes observés
évoqué par la physique quantique, notion qui rejoint une des intuitions
centrales du bouddhisme celle de l’interdépendance des phénomènes que j’évoquerai
dans ma conférence. C’est donc à lui que je pense en la préparant.
Merci Jean-Pierre, merci pour tout.
Merci Jean-Pierre, merci pour tout.
Jean-Louis.
PS
si vous vous souvenez de certains mots de Jean-Pierre, n’hésitez pas à compléter mon article ?
vendredi 27 janvier 2017
mardi 3 janvier 2017
La vacuité des phénomènes, la Voie du Milieu et ...L'enfant sauvage.(suite)
Dans
un article précédant j’ai noté que le public chinois fut initié aux textes de
l’école bouddhiste Madhyamika (ou Madhyamaka) grâce aux traductions de Kumajariva.
Le nom de cette école vient du sanscrit madhyama qui signifie milieu, médian, Voie
du Milieu (nous verrons plus loin pourquoi). Cette école fut fondée en Inde par
Nagarjuna au II° siècle après Jésus-Christ. Elle est la plus représentative de
la tradition de la Prajna-paramita (perfection de la sagesse). Toutes les
écoles bouddhistes évoquent la vacuité des phénomènes mais l’école du
Madhyamika place cette notion au centre de son enseignement.
Ce
thème est particulièrement intéressant car il peut nous permettre :
-
de comprendre une notion centrale du
bouddhisme
-
de découvrir un des points de convergence
entre le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme et de tracer une ligne de
partage entre les deux types de pensée par lesquels les hommes ont tenté de
comprendre l’univers
-
mais surtout faire progresser notre
réflexion sur notre rapport au monde et peut-être nous aider, parfois, à mieux
vivre.
Je
vous propose d’examiner tout cela dans une série d’articles à venir.
La
vacuité des phénomènes c’est, dans une première approche, une manière
d’expliquer les phénomènes. Prenons comme exemple notre « humanité »
c'est-à-dire les caractéristiques intellectuelles et morales qui distinguent
l’homme des animaux. Une première façon d’expliquer ces caractéristiques c’est
de dire qu’elles sont la marque, la conséquence d’une nature humaine donnée à la
naissance. Cette nature humaine distingue le petit homme des animaux
indépendamment des relations que celui-ci entretiendra avec ses semblables.
Dans
le cadre d’une explication qui se rattache à la vacuité des phénomènes on dira
au contraire qu’il n’y a pas de nature humaine et que notre
« humanité » est produite,
est le résultat, est interdépendante
des relations que nous entretenons avec les autres hommes.
Ainsi
parler de la vacuité d’un phénomène ne signifie pas que ce phénomène n’existe
pas mais qu’il n’existe en soi, qu’il n’a pas d’existence substantielle, qu’il
n’existe que par les relations qu’il entretient avec les autres phénomènes.
Tout
cela est développé très clairement dans la vidéo ci-dessous. Il s’agit de la retransmission d’une émission diffusée sur France 2 le dimanche matin dans le
cadre de la série "Sagesses bouddhistes".
Dans cette vidéo les intervenants évoquent la notion d'interdépendance des phénomènes mais aussi celle d'impermanence, notamment l'impermanence du moi, notion centrale du bouddhisme. Nous reviendrons sur ces thèmes qui, nous le verrons, sont aussi faciles à comprendre que passionnants dans des articles à venir.
Mais avant de terminer cet article je voudrais, comme promis dans le titre, évoquer le film de François Truffaut, L'enfant sauvage, car il éclaire bien l’inexistence d'une nature humaine.
L'enfant sauvage Le fait que notre humanité n’existe pas en soi, indépendamment des relations que nous avons avec les autres hommes est illustrée par l’histoire authentique de Victor de l’Aveyron dont François Truffaut a tiré un film : L’enfant sauvage Ce film est l'histoire d'un enfant, capturé comme un animal par des paysans, et amené au docteur Itard. L'enfant sauvage semble être sourd et muet. Le monde scientifique le considère, très majoritairement, comme un attardé qui, pour cette raison, a été abandonné. Toutefois, le docteur Itard pense que ce qui apparaît comme un retard mental est le résultat de l'absence de contact avec les hommes. Il s’aperçoit, par exemple que sa surdité est sélective. L’enfant n’entend pas le langage humain ou des bruits forts comme une porte que l’on claque. Par contre il a une ouïe très fine pour des bruits entendus dans la forêt comme une noix qui se brise. Le docteur Itard va lui apprendre le quotidien d'une vie d'enfant civilisé et le faire émerger de sa primitive animalité en lui enseignant ce qu'est le langage. Voici un extrait du film.
Mais avant de terminer cet article je voudrais, comme promis dans le titre, évoquer le film de François Truffaut, L'enfant sauvage, car il éclaire bien l’inexistence d'une nature humaine.
L'enfant sauvage Le fait que notre humanité n’existe pas en soi, indépendamment des relations que nous avons avec les autres hommes est illustrée par l’histoire authentique de Victor de l’Aveyron dont François Truffaut a tiré un film : L’enfant sauvage Ce film est l'histoire d'un enfant, capturé comme un animal par des paysans, et amené au docteur Itard. L'enfant sauvage semble être sourd et muet. Le monde scientifique le considère, très majoritairement, comme un attardé qui, pour cette raison, a été abandonné. Toutefois, le docteur Itard pense que ce qui apparaît comme un retard mental est le résultat de l'absence de contact avec les hommes. Il s’aperçoit, par exemple que sa surdité est sélective. L’enfant n’entend pas le langage humain ou des bruits forts comme une porte que l’on claque. Par contre il a une ouïe très fine pour des bruits entendus dans la forêt comme une noix qui se brise. Le docteur Itard va lui apprendre le quotidien d'une vie d'enfant civilisé et le faire émerger de sa primitive animalité en lui enseignant ce qu'est le langage. Voici un extrait du film.
Dans cet article nous venons de voir que la vacuité des phénomènes est liée à la notion d’interdépendance. Dans un
prochain article nous approfondirons cette notion d’interdépendance et notamment
l’interdépendance qui existe entre l’observateur et le phénomène observé. Ce sera l’occasion de rencontrer Oscar Wilde,
de retrouver notre ami Jean-Pierre mais aussi l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan
qui nous montrera, d’une manière extrêmement simple, que les postulats de la physique quantique rejoignent parfois les
intuitions du bouddhisme et de la pensée chinoise.
Comprendre la vacuité des phénomènes n'est pas un simple jeu de l'esprit. J’essayerai dans chaque article à venir d'en montrer les conséquences pratiques. Ici nous voyons que cette notion nous permet de mieux comprendre l'importance de l'éducation, de la socialisation dans le processus d'hominisation.
A suivre,
Jean-Louis
dimanche 1 janvier 2017
Bonne et heureuse année 2017
Bonne année à tous.
Puissions nous marcher dans la Voie Du Milieu et approcher la Prajna-paramita, la Perfection de la Sagesse.
Et pour commencer l'année en musique, je vous propose la cinquième bacchiana braseleira de Villa-Lobos :
On ne s'en lasse pas.
Jean-Louis
Puissions nous marcher dans la Voie Du Milieu et approcher la Prajna-paramita, la Perfection de la Sagesse.
Et pour commencer l'année en musique, je vous propose la cinquième bacchiana braseleira de Villa-Lobos :
On ne s'en lasse pas.
Jean-Louis
jeudi 22 décembre 2016
Kumarajiva et la Vacuité des phénomènes (suite)
Les
Biographies des moines éminents sont
un genre littéraire initié par Huijiao (497-554). Dans ces biographies les
légendes se mêlent à l’Histoire. Elles apportent une saveur aux récits, servent
à rehausser le prestige des maîtres auprès des disciples et contiennent
généralement une part de vérité transposée sur le plan symbolique. Ces
« moines éminents » furent de grands voyageurs qui, partis de l’Inde
ou de la Perse firent des voyages fabuleux en empruntant les routes des
caravanes de la Soie pour propager leur foi dans la Chine lointaine ou prenant
le chemin inverse allèrent de Chine vers
l’Inde à la recherche des racines du bouddhisme. La propagation du bouddhisme
est certainement une des plus grande aventure culturelle de l’Humanité. Ce fut
l’œuvre de personnages hauts en couleurs. Je vous propose d’examiner rapidement
de trois d’entre eux. Baozhi et Bodhidharma tout d’abord avant de revenir à
Kumarajiva qui nous permettra une approche du thème de la vacuité des
phénomènes.
Baozhi (418-514) ;
La légende veut qu’il soit né dans un nid d’aigle. Les aigles au regard perçant
et au vol majestueux sont le symbole du savoir profond et étendu de celui que
ses contemporains appelèrent le « moine divin ». Il étonna son
entourage par ses manières excentriques : errant sans domicile fixe, pieds
nus et cheveux en bataille, bâton de moine en main avec un attirail de ciseaux,
d’éventails et de miroirs. Il arpentait les rues sous le regard moqueur des
passants. De la raillerie, on passa bien vite à une attitude révérencieuse
lorsque l’on s’aperçu que ses propos incohérents prédisaient l’avenir avec
justesse. Ce moine composa de nombreux poèmes et hymnes. Il est l’auteur du
« Précieux service de repentir de l’empereur Liang » composé pour
délivrer la jeune épouse de l’empereur disparue à la fleur de l’âge et
transformée en python à la suite d’un mauvais karma. Il est remarquable que ce
service est toujours célébré solennellement dans les monastères.
Bodhidharma (v.
470-V. 543). La tradition considère ce prince indien à la barbe hirsute comme
l’introducteur du bouddhisme Chan en Chine. Le Chan (Zen au Japon) promet l'Illumination soudaine grâce à des exercices de méditation qui rendent inutiles le long détour par les Écritures. Bodhidharma (dont le nom signifie la Loi de l'Illumination) arriva à Nankin après un long
périple. Il eut avec Liang Wudi, « l’empereur bodhisattva » une
entrevue mémorable. A
l’empereur qui lui demandait quels étaient ses mérites pour avoir construit de
nombreux temples et aidé de nombreux moines, le moine répondit dans l’esprit du
Chan : « absolument aucun ». Ce ne fut pas du goût de l’empereur
qui invita Bodhidharma à prendre le large. De nombreuses peintures nous
montrent le maître traversant le Yangzi sur une tige de roseau ou brindille de
riz. Il arriva au lieu dit « petite forêt », Shaolin, où il passa neuf
ans en contemplation devant un mur. La légende veut aussi que pour éviter de
s’endormir il se serait coupé les paupières, qui tombées à terre, seraient
devenues des plants de thé. Une autre légende nous dit que ses jambes et ses
bras auraient pourri suite à son inaction prolongée ce qui serait à l’origine
des populaires poupées sphériques « daruma du Japon ».
Kumarajiva
(v. 343 – 413) L’arrivée de Kumarajiva à Chang’an en 402 inaugure une nouvelle
période où la spécificité de l’apport bouddhique indien se trouve pleinement
reconnue. Dés lors on ne cherche plus à transposer la pensée venue d’ailleurs
en termes familiers, principalement taoïstes (exemple l’éveil (bodhi) compris en terme de dao
ou encore l’extinction (niravana) en
terme de non-agir (wuwei). Sous la
direction de Kumarajiva, on se lance dans de grands travaux d’exégèse et de
traduction directement du sanscrit pour lesquels on fait appel à des moines
venus d’Inde ou de Sérinde (voir Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise.)
Le père de Kumarajiva appartenait à une
illustre famille indienne. Il renonça à un poste de ministre pour prendre l’habit
monastique. Il quitta l’Inde et se rendit au royaume de Kucha (à l’extrême
nord-ouest de la Chine, au nord du désert du Taklamakan) où il fut reçu avec
honneur par le souverain qui lui donna Jiva,
sa sœur cadette en mariage. Jiva (en chinois Qipo) était douée d’une
intelligence vive. Ses facultés décuplèrent pendant sa grossesse au point qu’elle
sut parler la langue de l’Inde sans l’avoir apprise. Naturellement on y vit un
heureux présage : l’enfant à naître serait un grand Sage. La princesse
craignant que trop de faveurs ne nuisent à leur projet de vie ascétique emmena
son fils dans de nombreux pays se mêlant aux caravanes de la soie, franchissant
les passes gelées du Pamir et de l’Hindukush. Ils s’arrêtèrent une année dans l’antique
Shale, l’actuelle Kashgar. C’est dans cette ville que Kamarajiva s’initia au
Mahayana.
Dès
son arrivée à Chang’an en 402, avec le concours d’un millier de moines
Kumarajiva s’attelle à la traduction d’une série impressionnante de textes qui
deviendront les pièces maîtresses du Canon bouddhique chinois, notamment le Sûtra de la Terre pure, le Sûtra du
Lotus, Le Sûtra de Vimalakirti.
Sentant
sa mort prochaine il fit venir ses disciples et leur déclara « Si les
Ecritures que j’ai traduites ne comportent pas d’erreurs, je désire qu’à la
crémation de mon corps, ma langue ne soit pas consumée par le feu ». En
413 Kumarajiva fut incinéré. Dans les cendres de son corps on retrouva sa
langue intacte. Une pagode de jade fut construite pour la conserver et pour vénérer
la mémoire de cet homme qui exerça une influence décisive sur l’orientation du
bouddhisme chinois. On peut encore voir
ce monument aujourd’hui au Caotangsi.
Ce
travail de traduction est certainement un des plus importants de l’Histoire.
Outre les textes mentionnés ci-dessus, Kamarajiva traduisit les trois traités
de l’école Madhyamika. Ce sont ces textes qui vont nous conduire à une approche
de la Vacuité des phénomènes qui fera l’objet du prochain article. Pour nous
aider à saisir cette notion nous rencontrerons des personnalités aussi diverses
qu’Oscar Wilde ou François Truffaut. Nous retrouverons aussi notre ami
Jean-Pierre qui, au sujet de la Vacuité des phénomènes, fit une remarque qui,
plusieurs années après, me plonge toujours dans des abimes de perplexité.
A
suivre,
Jean-Louis
dimanche 18 décembre 2016
Kumarajiva, Oscar Wilde et le thème de la Vacuité
Moine voyageant le chasse mouche
à la main, des manuscrits sur le dos,
en compagnie d’un tigre
Je
voudrais, aujourd’hui, proposer une approche du thème de la Vacuité. C’est une
notion importante du bouddhisme, mais c’est aussi, à mon avis, une des plus
difficile à saisir tant elle est éloignée de nos habitudes de pensée. Il me
semble pourtant que toutes notions, même les plus complexes, même les plus
éloignées de nos modes de pensée peuvent être approchées d’une manière simple dans
des récits aussi passionnants que des romans policiers ou des contes de Noël, sans rien enlever au sérieux de l'étude..
Aborder
le thème de la Vacuité n’est pas un simple jeu de l’esprit susceptible d’intéresser
seulement quelques adeptes du bouddhisme. C’est, nous le verrons, la
possibilité de mieux comprendre certains aspects de la pensée chinoise. C’est
aussi l’occasion de nous interroger sur certaines
de nos attitudes. En effet, pour un bouddhiste, ignorer la vacuité des choses c’est
se comporter comme un enfant qui, se piquant à une aiguille, dirait :
« cette aiguille est méchante ».
Aborder
le thème de la vacuité des choses c’est rencontrer des personnages aussi remarquables que
Kumarajiva (vers 344-413) certainement un des plus grands traducteurs des
textes bouddhiques en chinois ou encore
Oscar Wilde qui déclarait que les brouillards n’existaient pas à Londres avant
que Turner ne nous apprit à les voir. C’est partir pour des voyages merveilleux
qui nous conduiront de l’Inde à la Chine en passant par le Cachemire, l’ancien
royaume de Kucha et l’antique Shale. C’est
se mêler aux caravanes de la soie pour suivre une princesse kuchéenne et son
fils de douze ans se frayant un chemin par les passes glacées du Pamir ou de l’Hindukush.
C’est se délecter de la saveur des mots tels que Prajna-paramita (perfection de
la sagesse). C’est la joie de comprendre une pensée étrangère et en retour la
sienne propre. C’est écouter de nombreux récits ou l’Histoire se mêle aux
légendes. Bref, c’est prendre un plaisir extrême comme si Peau d’âne nous était conté.
A
suivre,
Jean-Louis
PS
les sources de ces articles sont essentiellement :
50 grands maîtres du
bouddhisme chinois de Christian Cochini (Institut
Ricci). Edition Bayard.
Histoire de la pensée
chinoise d’Anne Cheng, Points Essais
samedi 3 décembre 2016
Respect des Anciens : transmission ou passéisme
L’attachement au passé est un sujet qui me touche beaucoup et qui semble être à la mode. Pourtant parler de l’attachement au passé ne veut pas dire grand-chose si l’on n’indique pas ce que l’on met dans cette notion. En effet, des personnalités de sensibilité très différentes proclament cet attachement en y mettant des valeurs parfois opposées.
Encouragé par des échos selon lesquels le blog continue à être lu malgré le ralentissement des activités de Chinafi, je vous propose d’examiner très succinctement les raisons de cet attachement au passé chez trois grands « passéistes » : Confucius, Claude Lévi-Strauss et Georges Brassens.
Confucius
La Voie de Confucius c’est la Voie des Anciens, celle des Sages Rois de l’Antiquité, la Voie de Wen et Wu. Il le proclame dans une phrase célèbre des Entretiens : « Je transmets, je n’invente rien…J’aime l’Antiquité » VII,1. (Traduction Pierre Ryckmans.) Pourtant l’enseignement de Confucius avant d’être récupéré et parfois déformé fut extrêmement novateur. Alors pourquoi cette référence constante à l’Antiquité ? Nicolas Zufferey dans son Introduction à la pensé chinoise avance une explication. Confier ses idées au passé permet, peut-être de mieux les faire accepter. Des idées neuves s’imposent parfois plus facilement quand on en attribue la paternité aux Anciens. On peut, peut-être, également voir dans cette référence à l’Antiquité une cohérence avec l’attachement aux rites, au culte ancestral et à la piété filiale. Les rites établissent, entre autres, un lien entre les générations. Les hommes d'aujourd’hui retrouvent les gestes et les paroles du passé. Comme le culte des Ancêtres et la piété filiale, les rites témoignent d’une fidélité envers les Anciens. Cette fidélité est un moyen de lutter contre la mort et contre l’oubli qui est une deuxième mort. C’est aussi le moyen de trouver des racines.
Claude Lévi-Strauss
Le premier travail d’un ethnologue, s’il veut comprendre les sociétés qu’il étudie et en retour la sienne propre, c’est de se débarrasser de ses préjugés, de ses a priori, de ses habitudes de pensée. Il doit donc opérer un décentrement par rapport à son moi et à ses présupposés ce qui peut être favorisé par un voyage dans l’espace ou dans le temps. Mais le mieux est encore de citer notre auteur : « Quand les hommes du Moyen-âge et de la Renaissance ont redécouvert l’antiquité gréco-romaine, et quand les Jésuites ont fait du grec et du latin la base de la formation intellectuelle, n’était-ce pas une première forme d’ethnologie ? On reconnaissait qu’aucune civilisation ne peut se penser elle-même, si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de base de comparaison. La Renaissance a retrouvé, dans la littérature ancienne, des notions et des méthodes oubliées ; mais plus encore, le moyen de mettre sa propre culture en perspective, en confrontant les conceptions contemporaines à celles d’autres temps et d’autres lieux.
Ceux qui critiquent l’enseignement classique auraient tort de s’y tromper : si l’apprentissage du grec et du latin se réduisait à l’acquisition éphémère des rudiments de langues mortes, il ne servirait pas à grand-chose. Mais – les professeurs du secondaire le savent bien – à travers la langue et les textes, l’élève s’initie à une méthode intellectuelle qui est celle même de l’ethnographie, et que j’appellerais volontiers la technique du dépaysement. »
Claude Lévi-Strauss, Les trois humanismes article paru dans la revue Demain en 1956 et repris dans Anthropologie structurale II.
Georges Brassens
Georges Brassens a exprimé dans de nombreuses chansons son attachement au passé, aux « neiges d’antan ».
Je vous en propose trois ci-dessous :
- Le moyenâgeux :
- Le Grand Pan
- Le passéiste
Je ne veux pas paraphraser Brassens en affaiblissant la beauté de ses vers. Je vous laisse découvrir ou redécouvrir ces merveilleuses chansons.
Brassens sait bien qu’on peut lui reprocher sa « morose délectation ». En fait, il ne s’agit pas de s’engager dans le débat stérile de savoir « si c’était mieux avant ». On parle du devoir de mémoire en le limitant souvent aux crimes perpétrés dans le passé. On espère ainsi que ces crimes ne se reproduisent plus. Mais ce devoir de mémoire peut porter aussi sur la richesse du passé qui peut continuer à nous enrichir. L’attachement au passé ce peut-être aussi le souhait que les générations passées continuent à vivre en nous. Dit par Brassens c’est plus joli :
Le feu des étoiles éteintes
M’éclaire encore,
Et j’entends l’Angélus qui tinte
Aux clochers morts
Brassens, Le passéiste.
Jean-Louis.
Encouragé par des échos selon lesquels le blog continue à être lu malgré le ralentissement des activités de Chinafi, je vous propose d’examiner très succinctement les raisons de cet attachement au passé chez trois grands « passéistes » : Confucius, Claude Lévi-Strauss et Georges Brassens.
Confucius
La Voie de Confucius c’est la Voie des Anciens, celle des Sages Rois de l’Antiquité, la Voie de Wen et Wu. Il le proclame dans une phrase célèbre des Entretiens : « Je transmets, je n’invente rien…J’aime l’Antiquité » VII,1. (Traduction Pierre Ryckmans.) Pourtant l’enseignement de Confucius avant d’être récupéré et parfois déformé fut extrêmement novateur. Alors pourquoi cette référence constante à l’Antiquité ? Nicolas Zufferey dans son Introduction à la pensé chinoise avance une explication. Confier ses idées au passé permet, peut-être de mieux les faire accepter. Des idées neuves s’imposent parfois plus facilement quand on en attribue la paternité aux Anciens. On peut, peut-être, également voir dans cette référence à l’Antiquité une cohérence avec l’attachement aux rites, au culte ancestral et à la piété filiale. Les rites établissent, entre autres, un lien entre les générations. Les hommes d'aujourd’hui retrouvent les gestes et les paroles du passé. Comme le culte des Ancêtres et la piété filiale, les rites témoignent d’une fidélité envers les Anciens. Cette fidélité est un moyen de lutter contre la mort et contre l’oubli qui est une deuxième mort. C’est aussi le moyen de trouver des racines.
Claude Lévi-Strauss
Le premier travail d’un ethnologue, s’il veut comprendre les sociétés qu’il étudie et en retour la sienne propre, c’est de se débarrasser de ses préjugés, de ses a priori, de ses habitudes de pensée. Il doit donc opérer un décentrement par rapport à son moi et à ses présupposés ce qui peut être favorisé par un voyage dans l’espace ou dans le temps. Mais le mieux est encore de citer notre auteur : « Quand les hommes du Moyen-âge et de la Renaissance ont redécouvert l’antiquité gréco-romaine, et quand les Jésuites ont fait du grec et du latin la base de la formation intellectuelle, n’était-ce pas une première forme d’ethnologie ? On reconnaissait qu’aucune civilisation ne peut se penser elle-même, si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de base de comparaison. La Renaissance a retrouvé, dans la littérature ancienne, des notions et des méthodes oubliées ; mais plus encore, le moyen de mettre sa propre culture en perspective, en confrontant les conceptions contemporaines à celles d’autres temps et d’autres lieux.
Ceux qui critiquent l’enseignement classique auraient tort de s’y tromper : si l’apprentissage du grec et du latin se réduisait à l’acquisition éphémère des rudiments de langues mortes, il ne servirait pas à grand-chose. Mais – les professeurs du secondaire le savent bien – à travers la langue et les textes, l’élève s’initie à une méthode intellectuelle qui est celle même de l’ethnographie, et que j’appellerais volontiers la technique du dépaysement. »
Claude Lévi-Strauss, Les trois humanismes article paru dans la revue Demain en 1956 et repris dans Anthropologie structurale II.
Georges Brassens
Georges Brassens a exprimé dans de nombreuses chansons son attachement au passé, aux « neiges d’antan ».
Je vous en propose trois ci-dessous :
- Le moyenâgeux :
- Le Grand Pan
- Le passéiste
Je ne veux pas paraphraser Brassens en affaiblissant la beauté de ses vers. Je vous laisse découvrir ou redécouvrir ces merveilleuses chansons.
Brassens sait bien qu’on peut lui reprocher sa « morose délectation ». En fait, il ne s’agit pas de s’engager dans le débat stérile de savoir « si c’était mieux avant ». On parle du devoir de mémoire en le limitant souvent aux crimes perpétrés dans le passé. On espère ainsi que ces crimes ne se reproduisent plus. Mais ce devoir de mémoire peut porter aussi sur la richesse du passé qui peut continuer à nous enrichir. L’attachement au passé ce peut-être aussi le souhait que les générations passées continuent à vivre en nous. Dit par Brassens c’est plus joli :
Le feu des étoiles éteintes
M’éclaire encore,
Et j’entends l’Angélus qui tinte
Aux clochers morts
Brassens, Le passéiste.
Jean-Louis.
mardi 15 novembre 2016
Carrières de lumières et Baux de provence
Un petit groupe s'est retrouvé ce dimanche pour visiter les Carrières de Lumières des Baux de Provence.Le diaporama est consacré à Chagall (avec un petit préambule autour d'Alice aux pays des merveilles). Ce spectacle, vraiment exceptionnel, donne l’occasion de redécouvrir l’oeuvre significative de Marc Chagall.
"Numérisés et projetés sur les 5000 m² des Carrières de Lumières avec des murs allant jusqu’à 14 mètres de hauteur, les chefs-d’oeuvre les plus évocateurs de Chagall dialoguent avec le visiteur, pour une expérience novatrice, spectaculaire et particulièrement dynamique".
Pour en savoir plus :carrieres-lumieres.com
Voici quelques photos de notre arrêt pique-nique, rapide car il faisait plutôt froid mais fort sympathique.
Il nous manquait Jean-Louis et la qualité du reportage et des photos s'en ressent!
Une visite du village des Baux et un arrêt au chaud dans un bar pour des échanges enjoués et chaleureux ont clôturé cette journée.
Françoise
"Numérisés et projetés sur les 5000 m² des Carrières de Lumières avec des murs allant jusqu’à 14 mètres de hauteur, les chefs-d’oeuvre les plus évocateurs de Chagall dialoguent avec le visiteur, pour une expérience novatrice, spectaculaire et particulièrement dynamique".
Pour en savoir plus :carrieres-lumieres.com
Voici quelques photos de notre arrêt pique-nique, rapide car il faisait plutôt froid mais fort sympathique.
Il nous manquait Jean-Louis et la qualité du reportage et des photos s'en ressent!
Une visite du village des Baux et un arrêt au chaud dans un bar pour des échanges enjoués et chaleureux ont clôturé cette journée.
Françoise
lundi 17 octobre 2016
Le meurtre de Chaos
Dans un commentaire récent, Françoise évoquait la possibilité d’un thé philo. Je ne sais pas si cette initiative aura une suite mais pour vous mettre le thé à la bouche, je vous propose un nouveau thème (comme la culture chinoise en offre des centaines) : le meurtre de Chaos.
Le personnage de Chaos et son meurtre apparaissent dans la mythologie grecque et dans un apologue de Zhuangzi. Mais son meurtre revêt une signification différente selon le récit auquel on se réfère. A travers ces différences ce sont deux conceptions de la naissance du monde et plus généralement deux visions du monde que l’on découvre.
La mythologie grecque, pour notre culture, ce sont d’abord de belles histoires à l’origine, même si nous l’avons oublié, de très nombreuses expressions que nous employons tous les jours. Ainsi derrière l’expression « une pomme de discorde » ou encore « jurer comme un charretier » se trouvent de merveilleux récits. Mais plus profondément les mythes grecs véhiculent une vision du monde qui nous imprègne encore aujourd’hui. Il en va de même des apologues de Zhuangzi ou des propos de Confucius pour la culture chinoise.
Voyons d’abord le personnage de Chaos dans la mythologie grecque. C’est le dieu primordial, le plus ancien, celui qui est au commencement du monde. Luc Ferry dans La sagesse des Mythes le définit à la suite d’Hésiode et d’Apollodore comme un abime, un trou noir au sein duquel on ne rencontre nul être identifiable, rien que l’on puisse distinguer. Ce n’est que peu à peu que le monde ordonné va naître de ce désordre, de cette indistinction initiale. Et il faudra bien des luttes, bien des guerres entre les dieux qui sont racontées dans des histoires pleines de bruit et de fureur pour que les dieux de l’Olympe avec à leur tête Zeus sortent vainqueur des forces du chaos représentées notamment par les Titans. Dans la mythologie grecque la victoire des Olympiens, la sortie du chaos, de l’indistinction est représentée comme un progrès.
Il en va tout autrement dans l’histoire de Chaos racontée à la fin du chapitre VII du Zhuangzi. Chaos, c’est l’empereur du Centre représentant lui aussi l’indistinction. Il ne possède d’ailleurs aucun organe sensoriel lui permettant de distinguer le monde. Croyant bien faire ses collègues, l’empereur de la mer du Sud et l’empereur de la mer du Nord vont lui percer des orifices pour qu’il puisse sortir de l’indistinction. Mais dans la fable de Zhuangzi, contrairement au mythe grec, la fin de la confusion conduit au désastre et à la mort de Chaos. La fin de l’indistinction est perçue non comme un progrès mais comme un appauvrissement. On aura reconnu dans le personnage de Chaos un proche parent du Vide des taoïstes. Voici ce que nous dit Jean Lévi dans ses Propos intempestifs sur le Tchouang-Tseu : « Chaos a reçu des organes sensoriels. Ce gain est une perte nous dit Tchouang-Tseu » Pourquoi ? « L’acquisition des organes sensoriels se traduit par une catastrophe … Tout, en dedans de lui-même, était un merveilleux pêle-mêle. En s’ouvrant au monde, cette confusion qu’il tenait enfermée en lui s’écoule et se disperse par les orifices malencontreusement ménagés dans sa face lisse et impénétrable. Dans un même temps, par un mouvement inverse, à la faveur de ces fentes, le monde extérieur fait irruption à l’intérieur, envahissant sa subjectivité, la réduisant en esclavage et pour finir, annihilant son souffle vital. »
Dans le cadre de cet article je n’ai pu faire qu’un résumé extrêmement succinct et pauvre de ces deux histoires et de leur signification. Mais encore une fois le but de cet article était seulement une invitation à aller plus loin. Si vous voulez les découvrir ces récits dans toute leur richesse je vous invite à vous reporter aux livres de Jean-Pierre Vernant ou de Luc Ferry pour la mythologie grecque et aux traductions de Jean Lévi pour les apologues de Zhuangzi ou encore … aux échanges que l’on pourrait avoir autour d’un bol de thé.
Jean-Louis
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